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Futuroscopie : Amour, plaisir et tourisme à l’heure de la Saint-Valentin 🔑

Décryptage de Josette Sicsic, Futuroscopie


La récurrence de la Saint-Valentin tous les 14 février est devenue une nouvelle opportunité pour les opérateurs touristiques d’attirer une clientèle jeune et moins jeune, désireuse de s’offrir un moment plus ou moins exclusif. Dopée par un marketing parfois très offensif, cette fête aux origines floues en dit également long sur la place importante de la rencontre amoureuse dans un cadre de vacances et hélas sur les perversions du tourisme sexuel.


Rédigé par le Lundi 13 Février 2023

L’exploitation marketing de la Saint-Valentin permet d’approfondir la thématique de la construction du plaisir dans l’offre touristique - Depositphotos.com, HayDmitriy
L’exploitation marketing de la Saint-Valentin permet d’approfondir la thématique de la construction du plaisir dans l’offre touristique - Depositphotos.com, HayDmitriy
Autant de sujets que nous avons déjà abordés. Mais, par la voix de l’anthropologue Jean-Didier Urbain, elle aborde aussi via une focale inhabituelle l’évolution des sensibilités, des perceptions et des émotions dans nos sociétés en quête de plaisir et de jouissance, donc en quête d’un tourisme voué à être réenchanté par de multiples raffinements.

« Craquez pour une Saint-Valentin inoubliable » ! « Offrez-vous une nuit mémorable » ! « Les hôtels les plus romantiques pour une Saint-Valentin réussie » « A l’hôtel X nous aimons célébrer l’amour »…

Inutile de continuer, les slogans évoquant les saveurs des offres spéciales Saint-Valentin sont inépuisables.

Allant des plus romantiques aux plus coquins, ils s’accompagnent d’une iconographie parfaitement traduisible.

Ainsi, outre la rose rouge aux pétales dispersés sur un lit, la coupe de champagne, la boîte de chocolat, la chandelle, on trouve un rédactionnel d’invitation de ce type : « accueil soigné, musique douce, service discret et lit douillet... ».

En quelques années, on est donc bel et bien passé d’une offre tout public à une offre parfois carrément « polissonne » que l’on ne cherche même pas à déguiser.

Surtout pas d’ailleurs. Car, le public des couples illégitimes fait partie de la cible visée et ce serait même ceux qui dépensent le plus pour un moment d’exception.


Selon un sondage Ipsos de 2022, 60% des personnes interrogées jugent la Saint-Valentin trop commerciale.

Pour 13% elle serait même démodée. Au total, 40% ne la fêteront pas cette année.

Par ailleurs, 40% misent sur un diner romantique chez eux, quand 32% optent pour le restaurant ou le cinéma. Côté cadeau, 27% offrent des fleurs, suivi de près par le parfum.

Le budget moyen des habitants de l'Hexagone pour cette Saint-Valentin serait, selon une enquête YouGo, de 70€. C'est moins que celui des habitants des États-Unis et de l'Australie (100€), mais plus que celui des Allemands, des Italiens et des Espagnols (50€).

Les Britanniques, eux sont tout en bas du classement : ils comptent utiliser 30€ pour dénicher un cadeau à leur bien-aimé(e).

Mais, l’exploitation marketing de la Saint-Valentin devrait nous permettre d’approfondir un aspect bien plus important de la thématique amoureuse dans l’offre de voyage, c’est celle de la construction du plaisir dans l’offre touristique.

Dans son dernier ouvrage paru en 2017, « Une histoire érotique du voyage », l’anthropologue Jean-Didier Urbain, qui n’en finit pas de disséquer les pratiques et comportements touristiques, en a fait un thème central qui devrait inciter à relire l’ouvrage avec d’autres yeux.

Voici les réponses à nos questions.

« Sans plaisir, pas de tourisme ! » - Trois questions à Jean-Didier Urbain

Jean- Didier Urbain, anthropologue - DR
Jean- Didier Urbain, anthropologue - DR
Futuroscopie - Quel est cet érotisme dont vous parlez dans votre ouvrage ?

Jean-Didier Urbain :
Je ne parle pas seulement de celui qui est associé aux amours romantiques plus ou moins fortuites de vacances ou de voyage. Et pas davantage de l'érotisme, plus rituel ou convenu, nuptial ou commémoratif, qui est notamment associé aux noces et à la nostalgie des anniversaires conjugaux.

C'est aussi pourquoi je ne parle guère, principalement du moins, de l'érotisme spécifiquement attaché au tourisme sexuel. Mon livre se serait alors appelé "Une histoire du voyage érotique" et non "Une histoire érotique du voyage".

L'objet de mon livre, c'est la lente et tardive association du plaisir et du voyage. La construction historique et culturelle de cette alliance, qui ne va vraiment pas de soi, entre mobilité, espaces et jouissance, que celle-là soit sensuelle, intellectuelle, esthétique ou physique.

Bref, c'est de la "fabrication" de cette jouissance du et par le voyage, comme annexée par lui, qu'il s'agit dans cet ouvrage. Sans cette demande, cette quête, cette recherche ou cette attente (demande inexprimée), le tourisme ne serait pas !

Il faut s'en souvenir quand même. Le tourisme n'est rien sans cette promesse de plaisir et la multiplication de ses objets de désir.

Envies de lieux, de territoires, de paysages, d'usages vestimentaires ou alimentaires, de partenaires, de fêtes, etc. Cet érotisme, tout azimut, dont je parle dans mon ouvrage, porte donc sur tous les canaux sensoriels possibles et à même de procurer du plaisir au voyageur, ce qui ne se réduit ni au sexe, ni à la vue fixée dudit "vista point" ou du sight-seeing d'autrefois...   
    
Futuroscopie - Comment érotise-t-on le monde vis-à-vis d'une clientèle supposée amoureuse en quête de moments exceptionnels ?

Jean-Didier Urbain : 
Le monde est déjà érotisé par des pratiques de jouissance anciennes et multidimensionnelles. D'autres s'ajoutent, nouvelles et bienvenues.

Mais c'est l'effet même, en propre, du tourisme que d'érotiser le monde, par tradition. Venise a toujours été une destination érotique, tant pour ses bordels que pour la beauté de sa lagune, de Montaigne à Philippe Sollers, en passant par Casanova, Rousseau ou Hemingway, qui tôt le matin partait à la chasse au canard à Torcello.

Jouir ! On n'ose le dire dans cette société non plus seulement écologiquement réprimée mais moralement inhibée, pour laquelle le sexe est une banalité mais l'amour un supplément improbable d'émotions heureuses toujours inopportunes dans un monde coupable empli de malheurs et de catastrophes.

Alors comment érotise-t-on le monde dans ce cadre ? Par la promesse du secret et des joies clandestines : voyages en douce, gîtes intimes, escapades furtives, séjour incognito et autres dérobades (promesse dont regorgent d'ailleurs les publicités « valentinesques »), qui permettent d'échapper à l'ordre social - une tendance que j'avais déjà approchée dans "Secret de voyage" publié en 1998.

Si le voyage est un acte anti-social, comme l'a écrit Paul Morand, le voyage amoureux l'est encore plus...      

Futuroscopie - Comment situez-vous ce livre dans votre recherche sur le tourisme, le voyage et les mobilités d'agrément ?

Jean-Didier Urbain :
C'est pour l'instant mon dernier livre écrit sur le sujet du tourisme. Mais je pense qu'il aurait pu tout aussi bien être le premier si je ne m'étais heurté à la question du mépris du touriste quand j'ai commencé mes recherches.

Car le tourisme est bien cela. Il correspond à l'introduction du "principe de plaisir" dans la réalité d'un voyage qui, jusque-là, était lié à l'exode, la guerre, la migration économique, la misère, la fuite et, au mieux, le séjour sanitaire.

Le tourisme est un enchantement du monde. Il ne faudrait pas l'oublier quand on prétend le penser.  

Lire : Une histoire érotique du voyage. Editions Payot/Rivages. 2017


Josette Sicsic
Josette Sicsic
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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